Qu’est ce que le Conseil Constitutionnel et quel est son véritable rôle ? Évolution de son mode de saisine.

« Le Conseil Constitutionnel est avant tout une arme contre la déviation du régime parlementaire » explique Michel Debré devant le Conseil d’Etat, en 1958. Outil principal du parlementarisme rationalisé, singularité politique lors de la fondation de la Ve République, le Conseil Constitutionnel est devenu aujourd’hui un acteur familier du jeu de nos institutions.

Si le Consulat, l’Empire et le second Empire attribuaient au Sénat un pouvoir constituant sanctionnateur (contrôle des lois) et déterminateur (interprétation du sens de certaines dispositions de la Constitution), la Restauration et la monarchie de Juillet avaient néanmoins supprimé ce contrôle : c’est seulement à la fin du XIXe siècle que des enseignants de droit public proposèrent d’introduire un contrôle de constitutionnalité par le juge, rôle que la Cour de Cassation s’était, pour sa part, refusée à exercer avec l’arrêt « Paulin » du 11 mai 1833.

Sous la IVe république avait certes été établi un comité constitutionnel. Mais ce dernier n’avait pas de véritable pouvoir de contrôle de la volonté parlementaire. D’où l’intérêt d’étudier le virage engagé en 1958 : la création du Conseil Constitutionnel, son rôle et ses modes de saisine.

Qu'est-ce que le Conseil Constitutionnel ?

Cette institution est prévue au titre VII de la Constitution du 4 octobre 1958 qui lui consacre huit articles. À l’époque, ce n’est toutefois pas très significatif puisque les articles 56, 57 et 63 portent sur l’organisation, la composition et les incompatibilités diverses du Conseil tandis que les articles 58, 59 et 60 précisent son rôle en tant que gardien des opérations électorales. Seuls les articles 61 et 62 envisagent le rôle du Conseil Constitutionnel en tant qu’organe de contrôle de la constitutionnalité des lois.

À l’origine, le Conseil Constitutionnel a surtout été forgé comme une arme du Gouvernement pour contenir le Parlement dans les domaines d’intervention que lui réserve l’article 34 de la Constitution et, accessoirement, offrir une retraite dorée aux anciens chefs d’État de la IVe république, Vincent Auriol et René Coty. Il n’a donc pas été créé par De Gaulle et Michel Debré pour assurer la suprématie de la Constitution par rapport à la loi ordinaire. Essentiel dans la mise en place du parlementarisme rationalisé, le Conseil Constitutionnel a souvent été qualifié de « chien de garde de l’Exécutif » : terme peu élégant et peu évocateur auquel serait préférable celui de « garde prétorienne de l’Exécutif », le terme « prétorien » renvoyant, dans le langage juridique, à l’action du juge.

Le Conseil Constitutionnel a son siège dans l’aile Montpensier du Palais-Royal, à Paris. Il comporte neuf membres (renouvelés par tiers tous les trois ans) : trois nommés par le chef de l’Etat, trois nommés par le président du Sénat et trois par le président de l’Assemblée nationale, auxquels il faut ajouter les membres de droit que sont les anciens présidents de la République. Son président actuel est Laurent Fabius. Parmi ses membres célèbres, le Conseil Constitutionnel a notamment eu l’occasion d’avoir comme membres Georges Pompidou (de 1959 à 1962), Roger Frey (de 1974 à 1983) ou Georges Vedel (1980-1989).

Il convient ici d’insérer une remarque connexe, relativement à la nature du Conseil Constitutionnel : ce n’est pas une « cour » constitutionnelle. En effet, une telle cour est, selon la définition de Louis Favoreu, une juridiction « …créée pour connaître spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel, située hors de l’appareil juridictionnel ordinaire et indépendante de celui-ci comme des pouvoirs publics » (FAVOREU Louis & MASTOR Wanda, Les cours constitutionnelles, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit, rééd. 2016, p. 4).

De fait, si une cour suprême, ou la chambre constitutionnelle d’une cour suprême, peuvent être des juridictions constitutionnelles, cela n’emporte pas le fait qu’elles soient des « cours constitutionnelles ».

Rôle du Conseil Constitutionnel

À l’origine, le Conseil Constitutionnel a pour fonction de cantonner le Parlement dans les champs d’intervention que la Constitution lui attribue, afin d’exorciser le fantôme du parlementarisme des IIIe et IVe républiques. Pourtant, à partir du départ de De Gaulle de la Présidence, le Conseil Constitutionnel va s’émanciper de sa fonction initiale, pour se muer en véritable juridiction constitutionnelle et exercer un contrôle de conformité des lois à la Constitution.

D’abord discrètement, avec sa décision n°70-39 DC (19 juin 1970) puis explicitement par sa décision n°71-44 DC (16 juillet 1971), le Conseil étend, de sa propre initiative, le champ de son contrôle sur la loi. Il estime ainsi qu’au-delà des articles de la Constitution, il peut imposer au législateur le respect de la Déclaration de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946 : ce sont les bases du « bloc de constitutionnalité » (expression forgée par Claude Émeri et popularisée par Louis Favoreu).

En outre, en se fondant sur le préambule de 1946 qui fait référence aux Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République (PFRLR), le Conseil estime que lesdits principes ont également valeur constitutionnelle. Par la suite, il dégage des principes de valeur constitutionnelle, ainsi que des objectifs à valeur constitutionnelle (OVC) qui, eux, ne créent pas de droits et ne sont pas invocables par un requérant à l’encontre d’une décision le concernant (Conseil d’Etat, ord. 3 mai 2002, n°245697, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres) : ils ont seulement pour rôle d’orienter l’action législatrice vers un but déterminé.

Il faut également noter que le Conseil Constitutionnel a un rôle en matière électorale : il veille à la régularité de l’élection du président de la République, examine les réclamations et proclame les résultats ; il statue sur les contestations relatives à l’élection des parlementaires ; il veille à la régularité des opérations référendaires et en proclame les résultats.

Qui peut saisir le Conseil Constitutionnel ?

En l’état actuel du droit positif le Conseil Constitutionnel peut être saisi par :

  • Le Président de la République
  • Le Premier ministre
  • Le Président de l’Assemblée nationale
  • Le Président du Sénat
  • Soixante députés
  • Soixante sénateurs
  • Un justiciable personne physique ou morale.
 

Le type de contrôle et le moment de son exercice va également dépendre de la qualité ou la fonction de la personne qui saisit le Conseil Constitutionnel :

  • Lorsque le Conseil Constitutionnel est saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, soixante députés ou sénateurs, la saisine ne peut avoir lieu qu’avant la promulgation d’une loi. On dit ici que le Conseil Constitutionnel réalise un contrôle a priori.
  • Lorsqu’un justiciable souhaite saisir le Conseil Constitutionnel, la saisine ne peut avoir lieu qu’au cours d’un litige devant les juridictions administratives ou judiciaires et sur renvoie de la Cour de cassation ou du Conseil d’État. Cela signifie dans ce cas que la saisine a lieu postérieurement à promulgation de la loi litigieuse et qu’elle produit des effets contestés au cours d’une instance et au détriment du justiciable. On parle alors de contrôle a posteriori.
 

Dans la version originale de la Constitution de 1958, la saisine n’était réservée qu’au président de la République, au Premier ministre, aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Elle était donc relativement fermée, et c’est pourquoi jusqu’en 1974 le Conseil Constitutionnel ne fut saisi que 9 fois.

En 1974, une révision constitutionnelle a élargi la saisine à 60 députés ou sénateurs. Cette réforme a entraîné une multiplication des recours, l’opposition s’en servant systématiquement pour entraver la majorité.

Cependant, une constante demeurait : la Ve république ne pratiquait alors que le contrôle de constitutionnalité a priori. Ce contrôle était abstrait : il portait sur un texte seul et non sur ses applications pratiques. C’est pour créer une exception d’inconstitutionnalité que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a créé l’article 61-1 de la Constitution qui introduit le mécanisme de la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité). Cette expression n’apparaît pas dans la Constitution elle-même, mais dans la loi organique n°2009-1523 relative à l’application de l’article 61-1.

Ce contrôle de constitutionnalité peut être déclenché à l’occasion d’un litige, devant toute juridiction, judiciaire ou administrative, laquelle opère un filtrage préalable sur la base de conditions particulières : il faut ainsi que la loi attaquée soit applicable au litige, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et que la requête ait un caractère sérieux ou nouveau. Si la disposition législative a déjà été déclarée conforme, il faut que des changements aient eu lieu dans les circonstances de droit ou de fait qui l’entourent.

Ce contrôle a posteriori avait déjà été envisagé un temps par François Mitterrand. On retrouve aussi un mécanisme semblable à celui de la QPC dans le projet de constitution du maréchal Pétain du 30 janvier 1944 : son article 37 instaure un recours pour inconstitutionnalité par voie d’exception, pouvant être soulevé devant toute juridiction de 1ère instance.

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