Réflexion contemporaine sur l’apport révolutionnaire de l’analyse de la politique pénale de Pasukanis

Evgueni Bronislavovitch Pachoukanis (ou Pasukanis) né 1891 et mort en 1937, était un juriste soviétique. Evgueni Pasukanis rejoint en 1906, à l’âge de 17 ans, le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, puis commence à étudier le droit et la théorie du droit à l’université de Saint-Pétersbourg. Menacé par la police tsariste, il s’exile et continue ses études à Munich, où il se spécialise en droit et économie.

Devenu membre du Parti Bolchevique en 1918, il devient juge en août 1918, à Moscou, puis est nommé conseiller juridique au commissariat du peuple aux Affaires étrangères, et participe à la rédaction du traité de Rapallo. En décembre 1919, son cousin, Vikenti Pasukanis, est arrêté pour « activités contre-révolutionnaires ». En 1924, Evgueni Pasukanis abandonne ses activités gouvernementales et travaille à l’Académie Communiste ; il en deviendra le vice-président. Il publie en 1924 La Théorie générale du droit et le marxisme.

L’analyse marxiste du droit bourgeois trouve en Evgeny Pasukanis sa plus grande synthèse. Les analyses qu’il développe sont toujours d’actualité, dans un monde marqué par le populisme pénal, où promesses liberticides en tout genre pullulent, provenant soit de la bouche de politiciens ou soit de leurs alliés les plus fidèles que sont les médias. Notre période contemporaine est marquée par ce populisme pénal qui permet à la classe dirigeante détourner les regards des prolétaires vers des évènements mineurs, permettant l’évitement des sujets plus importants que sont le partage de la valeur ajoutée, le chômage, la pauvreté, les services publics.

Au travers des médias bourgeois, il s’agit pour la classe dirigeante d’orienter les votes vers toujours plus de sécurité au détriment des libertés, d’aller vers une société de surveillance et de « panique morale » et surtout d’amener à la lutte des pauvres entre eux, seul moyen pour la classe capitaliste bourgeoise de survivre. Evgeny Pasukanis, grand penseur et théoricien du droit marxiste, permet au travers de sa vision du droit pénal et du droit de manière plus générale, de s’armer intellectuellement contre les politiques pénales néolibérales sécuritaires que nous subissons depuis plus de vingt ans.

Evgeny Pasukanis : le droit pénal comme instrument de la domination bourgeoise

Evgeny Pasukanis (1891-1937) fait partie des juristes marxistes oubliés, oublié par l’histoire et par le positivisme bourgeois dominant la science juridique. Cet ouvrage qu’il écrit en 1924 représente toute la puissance de sa pensée, pensée dans laquelle il remet en cause, dans sa totalité, le droit bourgeois positiviste et ses croyances. L’ordre juridique n’est en effet pas seulement qu’un outil théorique et pédagogique pour la doctrine ou les étudiants, mais l’ordre juridique normativiste reflète le caractère de classe qui l’a établi.

Engels disait notamment que la vision juridique du monde était la vision classique de la bourgeoisie qui est une sorte de « sécularisation de la conception théologique » dans laquelle « au dogme, au droit divin, se substituait le droit humain, à l’Église, l’État ». Critiquant le normativisme bourgeois kelsenien, il fait une mention très importante quand il rappelle le parallélisme entre l’évolution de la pensée juridique et celle de la pensée économique.

Il rappelle notamment et à juste titre que « le mode dominant de la pensée juridique, qui met au premier plan la norme comme règle de conduite établie autoritairement, n’est pas moins empirique, et va de pair, comme on peut l’observer dans les théories économiques, avec un formalisme extrême, totalement dénué de vie ». Pasukanis n’épargne pas non plus l’école du droit naturel qui fut selon lui l’expression la plus marquée de l’idéologie bourgeoise et qui est le fondement de toute théorie bourgeoise du droit.

Face à cet idéalisme juridique conçu au travers de norme juridique, d’autorégulation normative et de concrétisation juridique, Pasukanis fonde sa théorie marxiste sur les rapports sociaux matériels. Il rappelle en effet que « le droit a une histoire réelle, parallèle, qui ne se déroule pas comme un système de pensée, mais comme un système particulier de rapports que les hommes contractent, non pas à la suite d’un choix conscient, mais sous la contrainte des rapports de production ». L’homme « devient sujet juridique avec la même nécessité que celle qui transforme le produit naturel en une marchandise dotée des propriétés énigmatiques de la valeur ».

Pour Pasukanis, c’est le rapport économique qui fonde le rapport juridique, le rapport juridique est donc directement engendré par les rapports matériels de production existant entre les hommes. Pasukanis livre aussi une analyse très contemporaine de la société néolibérale où les intérêts privés supplantent l’intérêt général. Il affirme entre autres que « la domination de classe est beaucoup plus étendue que le domaine qu’on peut désigner comme étant la sphère officielle de la domination du pouvoir de l’État.

La domination de la bourgeoisie s’exprime aussi bien dans la dépendance du gouvernement vis-à-vis des banques et des groupements capitalistes que dans la dépendance de chaque travailleur particulier vis-à-vis de son employeur, et dans le fait, enfin, que le personnel de l’appareil d’État est intimement lié à la classe régnante ». De cette démocratie où la république du marché cache le despotisme de la fabrique, la défense des soi-disant fondements abstraits de l’ordre juridique est la forme la plus générale de ma défense des intérêts de classe bourgeoise.

Le capital financier en effet apprécie beaucoup plus un pouvoir fort et la discipline que « les droits éternels et intangibles de l’homme et du citoyen ». Le propriétaire capitaliste transformé en encaisseur de dividendes et de profits de bourse ne peut pas considérer comme un certain cynisme « le droit sacré de propriété ».

C’est pour protéger ses intérêts que la classe capitaliste bourgeoise a façonné le droit pénal comme un outil de répression envers la classe prolétarienne, permettant d’asseoir juridiquement et légalement cette domination. Pasukanis rappelle que « de toutes les sortes de droit, c’est précisément le droit pénal qui a le pouvoir de toucher la personne individuelle le plus directement et le plus brutalement ». Comme dit précédemment, « la bourgeoisie assure et maintient sa domination de classe par son système de droit pénal en opprimant les classes exploitées ».

Tout système historique déterminé de politique pénal porte la marque des intérêts de la classe qui l’a réalisé. En effet, la classe capitaliste déclara par exemple délictueux les efforts des ouvriers pour se grouper dans des associations. Sur la peine, Pasukanis montre bien le lien évident entre la révolution industrielle, qui a eu pour finalité de nous faire nous comporter comme des machines et la peine de prison vue comme privation de liberté et de temps.

Il affirme en effet que « la privation de liberté pour une durée déterminée par la sentence du tribunal est la forme spécifique dans laquelle le droit pénal moderne réalise le principe de réparation équivalente, cette forme est liée à la représentation abstraite de l’homme et du travail humain mesurable par le temps ». L’analyse de Pasukanis, nous permet en ses temps difficiles, d’avoir les armes intellectuelles pour penser le droit pénal tel que nous le vivons aujourd’hui, et permet enfin, de penser à une politique pénale alternative à la politique de la « tolérance zéro ».

L’environnement capitaliste néolibéral comme générateur intrinsèque de violences sociales

Le néolibéralisme, quelles que soient les formes qu’il peut prendre, est en lui-même, générateur de conflits sociaux, de violences, de ruptures des solidarités. Pasukanis le montre bien, déjà en 1924, que « la vie sociale se disloque d’une part en une totalité de rapports réifiés naissant spontanément et d’autres part, en une totalité de rapports où l’homme n’est déterminé que dans la mesure où il est opposé à une chose, c’est-à-dire défini comme sujet ».

Cette dislocation de la vie sociale ne peut qu’engendrer de la violence sociale. Les économies d’inspiration néolibérales fabriquent des inégalités qui génèrent de l’exclusion sociale et provoquent de l’anomie et qui entraînent mécaniquement des actes de délinquances, comme réponse à cet isolement du fait la domination capitaliste dans les rapports marchands. Face à ces violences qu’elle a elle-même engendrées, la société capitaliste néolibérale n’offre comme seule réponse que la répression, la sévérité des peines et donc un renforcement des inégalités et de l’exclusion sociale, amenant à un phénomène qui s’autoalimente et qui au final, conduit à une société du chacun pour soi, chacun essayant de survivre sans faire d’actes déviants, sous peine d’être marginalisé.

L’idéologie néolibérale est donc intrinsèquement punitive, car la seule réponse qu’elle propose à la misère c’est la sanction pénale. Par contre, pour la délinquance en col blanc, la superstructure néolibérale n’y répond pas, elle préfère s’en prendre aux plus faibles. Pour les néolibéraux, la sécurité est vue comme la condition de la liberté d’entreprendre. Le néolibéralisme ne s’illustre pas seulement sur le domaine de la peine, mais aussi dans la gestion de la justice.

La justice managériale est devenue dominante : gestion des ressources, gestion des flux, flux tendus, rationalisation du procès, peines planchers, traitement en temps réel des affaires, alternatives au jugement, etc. Cette justice, aux mains de la classe dominante, sert les intérêts de la classe régnante à merveille. Le cas de la répression des Gilets Jaunes en est un terrible exemple. Paradoxalement à cela, la justice instrumentalisée est vidée de sa substance et de ses moyens.

Au nom de la sacro-sainte « gestion des ressources humaines », la justice est en faillite avec de moins en moins de magistrats et de plus en plus de contractuels. Mais cette science de la gestion qui voit l’humain comme une ressource dont il faut extraire la plus-value, oublie que la fonction de rendre justice est rendue au nom du peuple, et non au nom de ses dirigeants. Cette justice néolibérale est alimentée par des lois pénales réactives, servant à montrer devant les citoyens que l’on sait agir vite (mais mal).

Cette inflation législative, symbole même de l’impuissance du législateur a encadré les relations sociales, alimentent l’exclusion sociale du fait de sa dévalorisation et entraîne par la même un déficit d’applications de la part des juges. L’overdose sécuritaire a envenimé la société. La justice est pensée en termes de flux, flux que les gestionnaires ont a cœur de limiter et de rationaliser, obligeant la justice à agir en temps réel suivant la « chaîne pénale » sous peine de paraître illégitime aux yeux du public. Comme dans les séries américaines, tout doit être réglé en moins de temps possibles.

Le populisme pénal; qu’engendre une société néolibérale; qui se caractérise par la rencontre entre la pathologie de la représentation et la pathologie de l’accusation, a eu pour conséquence de nous entraîner dans une société du tout-sécuritaire, à une criminologie de l’autre. La classe bourgeoise promet des droits de l’homme « épée » contre les droits de l’homme « bouclier ». Dans la conception néolibérale de la justice, le tort qui importe n’est pas celui qui est causé à l’État, mais celui causé à l’individu, à la victime. Le droit pénal néolibéral est un droit centré sur la victime.

C’est d’ailleurs pour cela que les dirigeants néolibéraux prennent souvent la défense des individus contre les institutions. Le droit pénal néolibéral nous fait passer d’un droit rétributif à un droit restitutif où il faut rendre à la victime la part qui lui a été prise, amenant à une régression intellectuelle de plus de 1000 ans où l’on se retrouve avec un procédé modernisé du wergeld. La peine est vue comme un tarif à appliquer, il n’y a plus besoin pour le juge d’essayer de diminuer la peine, le plus important dans la justice néolibérale et la satisfaction de la victime.

La victime doit être réparée. Or, cette conception-là de l’individu-roi ne tient pas la route et les effets pervers de cette vision se rencontrent constamment. La peine néolibérale est aussi physique. Elle l’est dans le sens où la peine peut être incorporée au délinquant. On pense alors au bracelet électronique qui est une peine ambulatoire et qui représente bien ce qu’est une peine dans la justice managériale néolibérale.

Elle n’entraîne pas de souffrance physique et n’entrave la mobilité de l’individu. Cette peine est adaptatrice et fonctionnelle et non ségrégative, elle ne vise pas à séparer le délinquant du reste de la société. Le choix de porter le bracelet est un choix libre mais contraint (liberté conditionnée ou peine d’emprisonnement). L’individu, par cette peine incorporée, est tout à la fois libre de se mouvoir et est enfermé sur lui-même. Le droit pénal néolibéral, au travers aussi des médias, a littéralement transformé notre perception de voir la société. Si le néolibéralisme n’est pas un totalitarisme vu qu’il s’est construit en réponse à cela, son raisonnement et ses conséquences n’en sont pas moins totalisants.

Aujourd’hui, les décideurs politiques se reposent sur le « sentiment victimaire » pour promettre des lois pénales plus fortes. Tout tourne autour de la victime, oubliant alors l’accusé. L’étape finale de cette vision néolibérale de la justice serait que la victime choisisse elle-même la sanction à appliquer au délinquant. C’est donc au travers de la sécurité, de la liberté, de la l’invisibilité et de la théâtralisation du fait pénal que se pense le doit pénal néolibéral.

Pour autant, les effets de ses politiques sont aujourd’hui bien connus et ceux qui proposent d’aller toujours plus loin dans cette logique sécuritaire/victimaire sont tout simplement inconscients. Face à la délinquance, la classe dominante, s’appuyant sur la théorie de la vitre brisée (la délinquance et son impunité entraînent de la délinquance), a appliqué la méthode anglo-saxonne de la « tolérance zéro ».

Par ce harcèlement des quartiers défavorisés et croyant réduire la criminalité et la délinquance, les gouvernements successifs n’ont fait qu’attiser la haine. Cette politique a amené à une surpopulation carcérale, à des violences entre policiers et les habitants et à une méfiance généralisée. La politique d’aggravation des peines n’a en aucun cas réduit la criminalité (hormis pour les infractions du Code de la route), mais au contraire a été criminogène.

Les effets des politiques néolibérales du « retour au pénal » ont amené à une certitude, c’est que les lois répressives étaient inutiles pour contenir un fait social global. L’État néolibéral signifie puissance de l’argent sur les relations humaines. Cette puissance de l’argent a entraîné une délinquance en col blanc récidiviste restée impunie. Les cas de fraudes fiscales éclaboussent l’actualité et pourtant, face à cela, le droit pénal néolibéral, protégeant la classe régnante, tapera sur les plus faibles voire sur courageux qui ont révélé les scandales.

Il existe d’ailleurs un lien inversement proportionnel entre le degré de corruption ou de violence d’un État et la confiance que les citoyens éprouvent envers les institutions de leurs pays. Les médias sont aussi au cœur de la justice néolibérale, influençant en permanence notre vision, nous gavant d’images sorties de leur contexte. Ils participent, pour reprendre Stanley Cohen, à la panique morale. Ce sont eux qui créent le sentiment d’insécurité, qui le façonne et qui l’exploite à des fins politiques. Le sentiment d’insécurité n’est qu’un sentiment, subjectif par nature.

Ce sont souvent ceux qui ne côtoient pas les prolétaires ou les plus miséreux qui ont le plus fort sentiment d’insécurité. De plus, d’une manière plus géographique cette fois, le sentiment d’insécurité est lié aux territoires paupérisés et désindustrialisés. Les lois qui protègent les plus pauvres ne sont que rarement appliquées et ce sont eux qui souffrent le plus de ce système pénal répressif.

Dans la même continuité, l’État ferme des écoles, réduit les moyens, réduit les aides sociales, ce qui alimente l’exclusion sociale, l’anomie et la délinquance. À l’inverse, les cols blancs eux ne sont que rarement attrapés, la corruption est endémique, le pantouflage est pratique courante, et les conflits d’intérêts sont très souvent présents. Le système pénal néolibéral est, on le voit, un système pénal de classe.

Conclusion : Dépasser la victime pour dépasser la justice néolibérale

La justice néolibérale se caractérise, on l’a vu, par une attention toute particulière à la victime. Cette attention portée à la victime caractérise notre société tout entière. Plus personne ne s’intéresse à l’accusé. Le néolibéralisme qui se dit porté par le vent de la modernité conduit à un blocage. Les partis traditionnels ne savent pas comment en sortir. La droite dans son ensemble tombe dans le piège sécuritaire alors que la gauche elle, tombe dans le piège victimaire.

D’un côté le populisme pénal et de l’autre l’angélisme pénal. Toutes deux représentent deux faces d’une même pièce, celle d’un néolibéralisme qui ne dit pas son nom, car dans tous les cas, l’État comme figure régulatrice de la société se voit mis au ban. Il s’agit donc de dépasser la victime pour s’émanciper de la justice néolibérale. La victime, en droit pénal, n’a pas son mot à dire. C’est une partie civile.

L’infraction est commise contre l’État et non contre une victime. Or, aujourd’hui, évoquer cette vision n’est pas possible. Et pourtant, c’est la seule vision rationnelle et la seule qui préserve les principes fondamentaux de la justice pénale. Un exemple pour illustrer cette « victimophilie » est celui de la prescription. La société néolibérale ne sait pas oublier car exige une réaction instantanée à toute modification de l’équilibre statique dans lequel elle vit. Ainsi, l’oubli est devenu aux yeux d’un puissant mouvement d’opinion ce que la justice charrie de pire.

La prescription étant devenue l’instrument d’impunité privilégié de celles et ceux que ni le temps, ni l’histoire ne rattraperont plus. Ainsi, un viol commis sur un mineur il y a quarante ans est prescrit. Horreur disent les uns ! Scandaleux disent les autres ! La vague médiatique est d’autant plus grande que cela concerne la haute bourgeoisie (ex : Duhamel). Sauf que voilà, la justice néolibérale est une justice de l’instant et sa priorité est de rendre justice aux victimes plutôt que de préserver l’intérêt de la société.

On pense à la place de la victime, la société disparaît. Juste après un événement de ce genre, le droit pénal néolibéral, marqué par la réaction plus que prévision, entraîne la formule « un fait divers, une loi ». Ainsi, les lois circonstancielles voient le jour à chaque fait divers, créant des absurdités et des horreurs juridiques, comme la loi Billon répondant à l’affaire Duhamel et qui consacre une prescription glissante pouvant aller jusqu’à 110 ans après la commission du viol sur un mineur. Or le temps de la preuve n’est pas éternel et les prétendues victimes n’ont pas forcément envie de porter plainte.

Pas grave dit l’opinion publique, il faut poursuivre les criminels jusqu’au bout, même sortis de prison, ils restent des criminels (ex : Cantat). Or, la disparition programmée de la prescription entraînera un devoir de vengeance qui n’a rien à faire dans une société civilisée. Les partisans de l’imprescriptibilité sont dans une impasse théorique et pratique. En effet, aucune infraction ne pourra jamais être établie trente, quarante ou cinquante ans après les faits et mes décisions de relaxe, de non-lieu se multiplieront, l’innocence sera reine et la défiance envers l’institution judiciaire n’en sera que plus grande.

Qu’on le veuille ou non, la prescription est faite pour les victimes et non pour l’accusé. La prescription permet en effet de déposer le crime dans la sphère de l’oubli judiciaire afin de l’arracher au cercle infernal de la vengeance et de la justice privée. Il faut insister sur un point : le but de la justice pénale est le suivant : sanctionner les infractions si le temps n’a pas prescrit l’action publique. En aucun cas, la justice pénale n’a pour but de soulager les victimes, de permettre aux victimes de faire leur deuil, de cibler un adversaire politique, de faire vengeance etc.

On juge quelqu’un pour des faits qu’il a commis en respectant les principes du droit pénal, et on lui applique une peine. C’est tout et c’est déjà énorme. Et pourtant, très souvent, le parquet, contaminé par le tribunal de l’opinion, apporte la caution pseudo-judiciaire qui manquait encore au soupçon, dans un dessein d’apaisement pourtant voué à l’échec, notamment quand il se transforme en instance de communication pour soulager la fumeuse opinion publique. Il faut le dire et le répéter mais la justice ne peut pas tout et elle doit l’expliquer aux prétendues victimes.

Comme le dit très bien Marie Dosé, «la loi est dictée sous le coup de l’émotion », « la loi pénale générale répond de plus en plus à un cas particulier, et de plus en plus de normes répressives sont fondées sur un crime suffisamment exceptionnel pour susciter l’indignation populaire et une médiatisation effrénée. « L’important est alors de réagir à l’émotion, d’épouser la colère populaire et de faire entendre un « plus jamais ça », que chacun pourtant, sait parfaitement chimérique ».

Le populisme pénal, porté à la fois à droite que par des militants de gauche, épousant le sort victimaire de telle ou telle catégorie, est le meilleur allié du néolibéralisme. Terminons sur ces mots de Marie Dosé : « l’ultrajudiciarisation participe à l’infantilisation de nos sociétés : aucun homme, aucune femme politique n’aurait le courage de rappeler à ses électeurs que l’injustice est le corollaire de toute vie en société ».

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