Le harcèlement moral constitue une infraction pénale, sanctionnée à l’article 222-33-2 et suivants du Code Pénal. Bien que parfois qualifiés de « harcèlement téléphonique » (terme que nous emploierons dans cet article), les appels téléphoniques malveillants réitérés ne tombent pas sous le coup de cette inculpation juridique, inexistante, mais sous celle, plus classique, de la violence, qui regroupe dans le Code Pénal les articles 222-7 à 222-16-3. Ils restent néanmoins tout à fait assimilables à du harcèlement, cas de figure distinct du démarchage commercial téléphonique traité dans un second temps.
Le harcèlement téléphonique : des conditions cumulatives et une appréciation jurisprudentielle souple
En ce qui concerne le harcèlement téléphonique, le Code Pénal incrimine directement ces faits à l’article 222-16 : il sanctionne ainsi d’un an de prison et 15.000 € d’amende les appels téléphoniques malveillants, les envois réitérés de messages malveillants émis par voie électronique ou les agressions sonores faites en vue de troubler la tranquillité d’autrui. Cependant, s’ils sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un PACS, la sanction s’élève à trois ans de prison et 45.000 € d’amende.
Pour que le délit de harcèlement téléphonique soit constitué, et donc punissable, les appels incriminés doivent remplir deux conditions cumulatives : ils doivent être à la fois réitérés et malveillants, sachant que la malveillance, qui est la condition en quelque sorte matérielle du délit, ne peut pas résulter de la seule répétition des appels mais seulement de leur contenu (Cass. Crim. 17 janv. 2012, n°11-81.756).
Dans les faits, la réitération exigée des appels interroge. S’il est évident qu’une dizaine d’appels correspond à ce cas de figure, à partir de quel seuil est-il possible de considérer qu’il y a une réitération ? Là encore, la Cour de Cassation a levé le doute en apportant la solution suivante : il suffit de deux appels successifs pour que la répétition soit caractérisée (Cass. Civ. 2e, 13 janv. 2012, n°10-23.679) et ce, même si ces appels sont adressés à des destinataires différents (Cass. Crim. 4 mars 2003, n°02-86.172). Par conséquent, un seul et unique appel reste insuffisant pour caractériser le harcèlement téléphonique.
De même, quoique de manière peut-être moins incertaine, est-il possible de s’interroger sur les cas de figure dans lesquels des appels peuvent être identifiés comme malveillants. À ce titre, la multiplicité d’appels téléphoniques pour exprimer des reproches et des menaces sur un ton agressif à l’égard de leurs destinataires, correspond à des appels malveillants (Cass. Crim. 23 mai 2018, n°17-85.040 ; Cass. Crim. 22 sept. 2015, n°14-84.341), tout comme les appels agressifs et orduriers (Cass. Civ. 2e, 13 janv. 2012, n°10-23.679). Des appels téléphoniques par lesquels un individu contrefait la voix d’une femme, et décrit de fausses agressions sexuelles commises par le conjoint sur la personne de leur enfant handicapé, trouble la tranquillité de leur destinaire et répond donc au critère de la malveillance (Cass. Crim. 4 mars 2003, n°02-86.172). À l’inverse, le seul envoi répété de messages à caractère sexuel et racoleur ne permet pas d’identifier la volonté de nuire à leur destinataire (Cass. Crim. 11 janv. 2017, n°16-80.557).
En droit, le harcèlement téléphonique est entendu de manière large. À titre d’exemple, les appels laissés sur une messagerie vocale, en vue de troubler la tranquillité de leur destinataire, ne perdent pas leur caractère malveillant et sont constitutifs des faits de harcèlement téléphonique (Cass. Crim. 20 fév. 2002, n°01-86.329 ; Cass. Civ. 13 janv. 2012, n°10-23.679). De même, des SMS malveillants et répétés, adressés de jour comme de nuit, suffisent à caractériser la commission de ce délit (Cass. Crim. 30 sept. 2009, n°09-80.373), à condition que leur réception se traduise par un signal sonore sur le téléphone portable du destinataire (Cass. Crim. 11 janv. 2017, n°16-80.557), ce signal étant l’élément permettant l’assimilation de ces SMS à des appels téléphoniques au sens de l’article 222-16 du Code Pénal.
Le démarchage commercial téléphonique, cas distinct du harcèlement téléphonique
En droit, le démarchage commercial par voie téléphonique n’est pas un cas de harcèlement téléphonique. En outre, il est régi par les articles L221-16 et L221-17 du Code de la Consommation et l’article L112-2-2 du Code des Assurances.
La loi relative à la consommation du 17 mars 2014 a instauré un service national : Bloctel. Il s’agit d’une « liste d’opposition » au démarchage téléphonique généralisé sur lequel doivent s’inscrire les consommateurs refusant de recevoir des appels indésirables (art. L223-1 alinéas 1 et 2 du Code de la Consommation). Les numéros y sont enregistrés pour une durée de trois ans. Les entreprises souhaitant démarcher des clients potentiels doivent donc expurger de leurs listes d’appels tous ceux qui se sont inscrits sur Bloctel. En principe…
Car, dans les faits, Bloctel est un échec patent : de plus en plus de Français sont sollicités par des pratiques abusives de démarchage téléphonique, parfois comparables à du harcèlement. En outre, seules 850 entreprises sont abonnées à la liste Bloctel, des dizaines de milliers d’autres ignorant les dispositions juridiques de la loi du 17 mars 2014. Rendant leur identification plus difficile par les consommateurs, certaines entreprises effectuent leurs appels à l’aide de numéros masqués : la pratique, pourtant interdite (3000 € pour une personne physique et 15000 € pour une personne morale), n’en est pas moins réelle.
Il faut signaler un changement prochain de la législation française. Le démarchage commercial téléphonique est autorisé du lundi au vendredi, de 10h à 13h et de 14h à 20h. Cependant, il sera interdit le week-end (soit le samedi et le dimanche) et les jours fériés à partir du 1er mars 2023 afin de protéger la vie privée des consommateurs et de mettre fin au démarchage abusif à toute heure. Cette nouvelle réglementation provient du décret n°2022-1313 du 13 octobre 2022, qui fait suite à la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux. En revanche, en cas de consentement préalable donné par le consommateur pour être appelé, le décret ne s’appliquera pas et il pourra donc être sollicité en dehors de ces jours et horaires.