Dans un essai très récent et enlevé, Philippe Fabry, avocat et docteur en histoire du droit, démonte les mécanismes de la Ve république, et tente de lever le voile sur sa véritable nature (Le Président absolu: La Ve République contre la démocratie).
On a peine à croire, à première vue, que la Ve république n’est pas un régime démocratique. Pourtant, elle ne répond à aucun des standards démocratiques européens : elle ne comporte pas de véritable séparation des pouvoirs (ni même de contre-pouvoirs sérieux), elle présente une confusion entre les fonctions de chef de l’État et de chef du Gouvernement dans les périodes dites de « fait majoritaire » (qui constituent l’écrasante majorité de notre vie politique depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral), et n’offre pas de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement.
En effet, si l’article 49 alinéa 2 de la Constitution prévoit la possibilité de renverser le Gouvernement par motion de censure, la disposition revêt un caractère plus esthétique qu’autre chose, puisque historiquement, une seule motion de censure a été votée par l’Assemblée (en 1962), qui plus est pour un acte jugé à l’époque, gravissime : la réforme sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En outre, le général De Gaulle avait montré, à l’occasion, une attitude pour le moins désinvolte, prononçant la dissolution de l’Assemblée Nationale dans la foulée et maintenant Georges Pompidou à son poste de Premier ministre.
On pouvait croire la Ve république démocratique. De ce mirage, sans doute, ainsi que l’écrit Philippe Fabry, De Gaulle en fut le premier intoxiqué. Lui-même démocrate et démocrate sourcilleux ! il remettait régulièrement en jeu son mandat devant les Français à chaque référendum, et démissionna de la Présidence en avril 1969 à la suite de son échec au référendum portant sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Pourtant, la nature supposée démocratique de la Ve reposait, pour ainsi dire, sur une illusion d’optique. Selon Philippe Fabry, le régime gaulliste bénéficiait, en ses débuts, de la culture parlementaire et démocratique héritée des IIIe et IVe républiques ; culture dont le personnel politique de l’époque était imprégné, et notamment Michel Debré, Georges Pompidou, Jacques Chaban-Delmas et, avec eux, le général De Gaulle.
Cependant, la culture démocratique héritée des précédentes républiques a fini par s’estomper : le temps passant, il a emporté avec lui le personnel politique d’origine de la Ve république, de la droite autant que de la gauche, et qui était, lui, imprégné de cette culture démocratique. À l’époque, De Gaulle et ses compagnons avaient cru que la culture parlementaire des IIIe et IVe républiques pouvait « forcer » l’interprétation de la Constitution de 1958 dans un sens déterminé, à savoir démocratique : c’était leur faiblesse puisque cela revenait, au bout du compte, à supposer que cette culture démocratique et parlementaire subsisterait pour toute la durée du régime.
De la sorte, le régime autoritaire que nous voyons aujourd’hui se dessiner n’est donc pas le fruit d’Emmanuel Macron. En effet, le régime actuel est bien le même que celui inauguré en octobre 1958, mais il nous révèle sa véritable nature à présent que la culture parlementaire s’est estompée en France, à savoir celle d’un régime non démocratique, aux antipodes des autres systèmes politiques existant en Europe. Une fois la culture des IIIe et IVe républiques estompée, la Ve république a donc sécrété à son tour une nouvelle culture politique, cette fois-ci de type autoritaire, de sorte que le régime de 1958 est interprété in fine selon ses propres principes.
Philippe Fabry note que, faute de se réformer dans un sens nettement parlementaire (réforme qu’il juge très improbable), la Ve république court à la catastrophe. Les crises sociales des mois prochains, selon leur déroulé, signeront l’aspect prophétique, ou non, de cette conclusion.