Fin juin 2021 a été adopté le projet de loi relatif à la bioéthique. Parmi ses enjeux, l’ouverture de la Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux couples de lesbiennes et aux femmes seules a fait l’objet d’un intense débat avant d’être voté. Le projet de loi portait également, entre-autres, sur l’élargissement du diagnostic pré-implantatoire sur les embryons afin de rechercher des anomalies chromosomiques éventuelles. Ce point-là a été écarté. Sont parus, au J.O. du 28 septembre, les décrets d’application de la loi sur l’ouverture de la PMA. De cette ouverture procède, actuellement, une hausse de la demande, laquelle a poussé l’Agence de la biomédecine a lancer une campagne, ce jeudi 21 octobre, visant à recruter de nouveaux donneurs de gamètes.
Pourtant, la lecture des dispositions juridiques nouvelles relatives à la PMA fait, pour ainsi dire, frémir l’oreille, et le fait qu’elles aient été portées par une loi de bioéthique n’en est pas la moindre ironie du sort. En effet, en régulant l’activité biomédicale et en s’interrogeant sur l’applicabilité des normes morales aux sciences du vivant, la bioéthique établirait ainsi une frontière entre ce qui est scientifiquement possible, et ce qui est légitime de faire (Bioéthique et droit, p. 11, Nicole Gallus). Or certaines des applications techniques possibles de l’ingénierie génétique, et vers lesquelles nous conduisent les élargissements des lois de bioéthique, posent des problèmes juridiques mais aussi politiques et touchant à la stabilité du collectif. L’une d’elles est la possibilité de choisir le sexe de son enfant, ce que la PMA rend possible. Elle permet de prélever une ou deux cellules d’embryon obtenus par fécondation in vitro afin d’en déterminer le profil génétique, et de les réimplanter dans l’utérus de la mère.
Permettre à des parents de choisir le genre sexuel de leur progéniture passe par la technique du diagnostic préimplantatoire. À l’heure actuelle, elle permet de dépister trois catégories de maladies : les affections liées au sexe, les affections génétiques et les anomalies chromosomiques (Philippe Barjot, « Le diagnostic pré-implantatoire : entre espoir thérapeutique et menace éthique »).
En France, à l’heure actuelle, le diagnostic préimplantatoire, réalisé à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, est en principe interdit, sauf depuis 1994 à titre thérapeutique et exceptionnel, dans les conditions énoncées à l’article L. 2131-4 du Code de la Santé Publique. Elle est réservée aux couples qui risquent de transmettre une maladie génétique grave. Son extension au dépistage de toutes les anomalies chromosomiques (dont la trisomie 21), et ouverte aux femmes bénéficiant de la PMA, a été rejetée par le Parlement.
Pourtant, ce protocole se pratique de plus en plus aux États-Unis (il y est même possible de choisir la couleur des yeux de son enfant), et dans la partie turque de Chypre. Leurs patients y font valoir leur souhait de réaliser un équilibrage familial en disposant d’enfants des deux sexes. Mais cet équilibrage familial n’augure rien de bon, le problème étant que la multiplication de tels recours biomédicaux finirait, outre par nous mener vers une dérive eugénique (une forme de course à la beauté, afin de ne pas être exclu du marché sexuel et s’assurer une descendance), par déstabiliser le « sex ratio » de nos sociétés et susciter des cohortes de célibataires, avec les dangers que cela implique.
Si l’extension du diagnostic pré-implantatoire a été rejetée, il est à craindre, cependant, que ce ne soit que partie remise. Non seulement la bioéthique est influencée par l’évolution des conceptions morales et par les exigences scientifiques ou économiques d’une époque (Bertrand Mathieu, Génome humain et droits fondamentaux, p. 29), mais, comme l’indique l’anthropologue médical Chantal Bouffard, la plupart des transgressions causées par le développement de la génétique ne sont même pas sanctionnées par la loi !
En 2019, des chercheurs de l’université de Hiroshima ont mis au point une technique génétique fiable et simple permettant de déterminer le sexe de l’embryon lors des opérations de FIV. Or la faculté de choisir le sexe de sa progéniture pourrait, si elle se généralise, accentuer le déséquilibre démographique dans les pays où le sexe masculin est valorisé. Devons-nous accepter la légalisation, sans motif thérapeutique, des techniques de fécondation in vitro et du diagnostic pré-implantatoire ? Mais, que pouvons-nous faire face au renouvellement des générations ?
Car avant d’être les enfants de nos parents, nous sommes ceux de notre époque : notre méfiance à l’égard de la PMA est surtout générationnelle. Une autre difficulté tient au fait que les patients ayant bénéficié à l’étranger d’une F.I.V. pour l’ « équilibrage familial » seront parmi les premiers à apporter leur soutien à ces procédés, sans compter les applications déjà thérapeutiques de la PMA. La nécessité s’impose d’un débat public sur la question : et si nous nous y dérobons, nous serons confrontés à des problèmes considérables.