Le rôle de garant de la Constitution du Président de la République française

On entend parfois dire du Président de la République qu’il est le gardien ou le garant de la Constitution. Ce rôle est déduit, implicitement, des dispositions générales qui lui sont consacré à l’article 5 de la Constitution de la Ve république, au terme duquel le Président « veille au respect de la Constitution » et « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (art. 5 alinéa 1er). À ce titre, le chef de l’État interprète la Constitution dans les cas où le Conseil Constitutionnel n’a pas compétence pour le faire.

Seulement, la qualité de gardien de la Constitution conférée au chef de l’État, et déduite de l’article 5, ne nous dit rien de la capacité et des outils juridiques qui sont les siens pour en assurer le respect, sur le modèle de celui prévu aux articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution de 1958 et qui touchent au Conseil Constitutionnel. C’est là que porte ainsi notre interrogation majeure : de quels outils légaux le Président de la République dispose-t-il pour remplir le rôle qui lui est dévolu ?

Sa fonction de gardien de la Constitution peut s’évaluer sous deux dimensions, une dimension d’abord formelle et, ensuite, matérielle. Étant quelquefois définie sous l’angle formel, autrement dit en tant que norme suprême organisant le régime politique et dotée, à ce titre, d’une procédure de révision (destinée aux lois constitutionnelles) plus compliquée à mettre en œuvre que celle relative à la loi ordinaire, la Constitution implique, par exemple, le Président de la République dans son processus de révision (art. 89). Si le Premier ministre ou les membres du Parlement émettent la volonté d’altérer la forme républicaine du Gouvernement (expression cependant floue : est-ce un régime non monarchique, est-ce le suffrage universel ou l’existence d’un système de protection sociale ?), le chef de l’État possède un net devoir d’opposition à de telles velléités.

Il faut également remarquer que le Président de la République est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire (art. 64). En mars 1960, le refus du général De Gaulle de convoquer le Parlement en session extraordinaire, malgré qu’une majorité de députés se soit régulièrement jointe à cette demande (art. 29), relève précisément de l’interprétation présidentielle de la Constitution : De Gaulle soutint l’idée que l’article 30 lui donnait le droit de refuser l’ouverture d’une session extraordinaire du Parlement. De Gaulle prit alors pour prétexte l’interdiction du mandat impératif (la demande ayant été formulée à la suite de la pression d’organisations paysannes), ainsi que l’exigence constitutionnelle de ne pas prendre de mesure législative contraire à l’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958.

À présent, penchons-nous sur l’aspect matériel. Ainsi que le faisait observer François Mitterrand au cours de son entretien radiotélévisé du 14 juillet 1986 relatif à son refus de signer les ordonnances de son Premier ministre d’alors (Jacques Chirac), la charge du chef de l’État de veiller au respect de la Constitution implique que soient garanties un certain nombre de données qui en relèvent. C’est à ce titre que le Président de la République peut déférer au Conseil Constitutionnel un projet, ou une proposition de loi ordinaire, qu’il jugerait contraire aux dispositions de la Constitution (art. 61), voire qu’il peut refuser, sous le même motif, de signer le décret de promulgation d’une loi ordinaire (art. 10 alinéa 2). Il peut alors demander une délibération nouvelle de ce texte, soit qu’elle porte sur la loi entière, soit qu’elle n’en touche que certains articles.

Pour en revenir au premier septennat de François Mitterrand, son refus de signer les ordonnances du Gouvernement Chirac relatives à plusieurs privatisations était fondé sur l’article 5 de la Constitution (précisément l’article 5 alinéa 2). Étant entre autres « le garant de l’indépendance nationale », Mitterrand engagea l’épreuve de force avec son Premier ministre : étant en charge de l’intérêt national (selon ses propres termes), il ne pouvait souscrire à ce que certains entreprises, vitales aux besoins de la Nation, se retrouvent « entre les mains d’étrangers ». Jacques Chirac dut alors se résoudre à faire passer ces ordonnances par la voie parlementaire, en incorporant leur contenu dans des projets de lois.

Cependant, le président Mitterrand ne refusa pas de promulguer ces projets de lois une fois votés par l’Assemblée, respectant ainsi l’article 10 alinéa 1er de la Constitution de 1958 ; il est difficile de savoir de quelle façon une telle opposition se serait terminée, le présent de l’indicatif ayant tendance à être interprété comme une obligation : aussi le refus éventuel de François Mitterrand de signer ces projets de lois aurait été considéré, très probablement, comme une violation de la Constitution et donc une trahison de son rôle… de gardien de la Constitution.

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