Le droit souple : définition, origine, identification et fonction

Qu'est ce que le droit souple ?

Le droit souple (traduction maladroite de l’expression « soft law » qui exprime l’idée d’un droit « doux ») est un ensemble de règles para-juridiques qui vise à influencer l’Administration ou les acteurs économiques et sociaux par des actes non contraignants, se distinguant ainsi du droit dur constitué de règles contraignantes (sanctionnées par un élément de contrainte) et impératives (obligatoires).

Sa définition demeure cependant relativement floue, c’est pourquoi le droit souple peut sans doute mieux s’appréhender par ses caractères. À l’origine, ce droit est né dans les sphères du droit international, en raison des difficultés qu’y rencontrait le droit dur pour s’appliquer de manière concrète. Il a été employé pour la première fois en 1930. C’est à partir des années 1990 que la doctrine s’est intéressée, de façon croissante, au droit souple, faisant de celui-ci un objet d’étude juridique.

En effet, le droit souple, du fait des formes différentes, presque plastiques, qu’il est susceptible de prendre, a créé de nouveaux phénomènes normatifs échappant aux catégories d’analyse traditionnelles (Xavier Magnon). S’étant in fine propagé, à des degrés différents, dans toutes les branches du droit sous forme de chartes de bonne conduite, de communiqués, d’avis et de recommandations, de protocoles, de codes privés, de lignes directrices, le droit souple, bien que se distinguant du droit dur sous certains aspects, est devenu un acteur à part entière du paysage juridique.

L’originalité du droit souple et le recours croissant qui y est fait, au cours de ces dernières années, par les pouvoirs publics, conduit nécessairement à s’interroger à la fois sur sur ses critères d’identité, son développement, mais également sur les fonctions qui lui sont attribuées.

Conditions d'identification du droit souple

Dans une étude datant de 2013, le Conseil d’État s’était penché sur les outils auxquels recourt le droit souple pour exercer ses activités de régulation. Il en avait dégagé trois critères cumulatifs d’identification :

  1. Leur objet est de modifier ou d’orienter le comportement de leurs destinataires en suscitant, si possible, leur adhésion ;
  2. Ils ne créent pas d’eux-mêmes des droits et des obligations pour leurs destinataires ;
  3. Leur mode d’élaboration et leur contenu leur confèrent un degré de formalisation et une structure qui les apparente aux règles de droit dur (autrement dit : qui leur donne, simplement, une forme juridique).

De telles conditions sont cumulatives parce que leur articulation témoigne, précisément, de la singularité du droit souple. Par le premier critère, celui-ci est d’abord distingué des avis et des documents qui préparent, en amont, la règle de droit ; le second critère le sépare du droit dur (seul ce dernier crée des droits et obligations) ; et le troisième le distingue du phénomène du « non-droit ».

Se profile ainsi un droit qui, sans relever du phénomène juridique classique caractérisé par le critère de la sanction, n’appartient pas néanmoins au non-droit. Il se sépare radicalement d’autres phénomènes normatifs comme la morale : un droit « du troisième type » qui conseille, recommande et formule donc des règles indicatives plutôt qu’impératives.

Développement du droit souple

Nous l’avons dit, le droit souple est apparu, à l’origine, en droit international. Son utilité a vite été reconnue par les États en raison des difficultés d’application qu’y rencontre le droit dur : comme le déclare le conseiller d’État Jacky Richard, signer un mémorandum est plus facile qu’un traité. En la matière, dans certaines situations, le droit souple peut donc se substituer aux instruments plus classiques mais plus contraignants du droit dur lorsqu’on ne peut recourir à ce dernier du fait des caractéristiques intrinsèques des relations internationales.

Le droit souple se manifeste aussi au niveau du droit communautaire. Par exemple, l’article 292 du TFUE, pour ne citer que lui, dispose que le Conseil de l’Union Européenne, la Commission et la Banque Centrale adoptent des « recommandations » dans leurs domaines de compétence. En l’occurrence, et à l’inverse des règlements, des directives et des décisions, il s’agit d’actes non obligatoires visant à inciter les États membres de l’Union à adopter un comportement déterminé, la CJUE estimant, en outre, que les juges nationaux sont tenus de les prendre en compte.

En France, le droit souple a trouvé un terrain particulièrement propice à son développement. Par exemple dans le cadre des Autorités Administratives Indépendantes (A.A.I.), à l’image de l’Arcom dans sa mission de régulation de l’audiovisuel, de l’Autorité des Marchés Financiers, de l’Autorité de la Concurrence, ou de la Commission de Régulation de l’Énergie (mais le terme d’A.A.I. constitue un non-sens dans la mesure où l’article 20 de la Constitution précise que le Gouvernement « dispose » de l’Administration). Fait remarquable, l’usage du droit souple par ces autorités administratives a tendu à faire émerger un pouvoir sui-generis dont la particularité réside dans le fait de rassembler sur une même tête les trois pouvoirs classiques : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

Dans ses arrêts d’assemblée Société Fairvesta et Société Numericable (21 mars 2016), le Conseil d’État a ouvert le recours pour excès de pouvoir contre les actes des autorités de régulation qui sont de nature à produire des effets notables, ou qui ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements de ses destinataires. C’est là un tournant significatif puisque, en principe, la possibilité de contester un acte administratif devant le juge était jusqu’alors soumise à la condition que cet acte produise des effets juridiques. De l’aveu même du Conseil d’État, c’est bien l’importance croissante du droit souple dans la régulation de la finance et de la concurrence qui a favorisé un tel revirement.

Pour fondamentales qu’elles soient, ces décisions de justice ont été complétées par un arrêt du Conseil d’État du 16 octobre 2019 (req. n°433069) ; la cour administrative suprême a admis que les actes de droit souple que les autorités de régulation adoptent dans l’exercice de leurs missions, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives, ou lorsqu’ils posent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance. En outre, ces actes, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment économiques, ou influent, de manière significative, sur les comportements de leurs destinataires, peuvent également être contestés devant le juge de l’excès de pouvoir par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation.

Fonctions du droit souple

Quatre fonctions principales sont attribuées au droit souple :

  1. D’abord, celui-ci peut se substituer au droit dur quand il est difficile, sinon impossible, de recourir à ce dernier (ex : en droit international). Il permet ainsi de conclure des accords internationaux de droit souple.

  2. En second lieu, ce droit permettrait de mieux appréhender les nouveaux phénomènes que font naître les évolutions de la technologie ou les évolutions sociales : à ce titre, le droit souple, utilisé par la CNIL, joue un rôle majeur dans la régulation d’Internet.

  3. En troisième lieu, il accompagne l’application du droit classique par les administrations ou par les entreprises ; il est ainsi devenu un outil à part entière de gestion de l’État, ainsi qu’en témoigne l’essor de la négociation dans la fonction publique, ce qui a l’avantage, en parallèle, de consolider la légitimité de ces règles de droit souple, du fait de l’implication des acteurs économiques et sociaux dans leur élaboration.

  4. Enfin, il constituerait une alternative pérenne au droit dur : ainsi en matière sanitaire, on assiste à la multiplication des chartes de déontologie pour les organismes de recherche ainsi que les agences sanitaires.

Une cinquième utilité est quelquefois avancée : le droit souple contribuerait à lutter contre l’inflation normative, en permettant de remplacer (et donc d’éviter) des dispositions réglementaires trop détaillées.

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