Cesare Beccaria (1738-1794), criminaliste et philosophe milanais, écrit dans son Traité des Délits et des Peines de 1764 : « La justice doit respecter le droit que chacun a d’être cru innocent ».
Plusieurs textes nationaux et internationaux établissent le principe de la présomption d’innocence : l’article 9 de la Déclaration des Droits (1789), l’article 11-1 de la DUDH (1948), l’article 14 du Pacte sur les droits civils et politiques (1966), l’article 6 de la CEDH, l’article préliminaire §3 du Code de Procédure Pénale ainsi que l’article 304 du même Code. Outre ces dispositions diverses, la présomption d’innocence a également été affirmée en tant que principe constitutionnel, à travers les décisions n°79- 109 DC, 95-360 DC et 81-127 DC du Conseil Constitutionnel.
Pourtant, en dépit de ces textes de loi, la présomption d’innocence est-elle une réalité tangible de notre système judiciaire ? En règle générale, la question revient chez nous, de manière récurrente, à chaque scandale politique. Dans la mesure où l’on observe les médias de masse jouer leur rôle notoire d’inquisition, instillant d’emblée, dans l’opinion publique, la conviction de la culpabilité de tel homme politique et ce, avant même tout jugement d’une juridiction régulière. Par exemple, c’est ce qui nous a été loisible de constater dans l’affaire Fillon (2017), instruite par le Parquet National Financier.
Pour examiner la réalité de la présomption d’innocence, il y a lieu de nous concentrer sur un mécanisme de réparation spécialement prévu par la loi pénale. En effet, il existe une indemnité à la charge de l’État, pouvant être accordée à toute personne qui, ayant été pénalement poursuivie, a néanmoins bénéficié d’un non-lieu, d’une relaxe, d’un acquittement ou de toute décision autre qu’une condamnation ou une décision d’irresponsabilité pénale (art. 800-2 du CPP).
Historiquement, l’institution d’une telle indemnité réparatrice date de la loi n°70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens, avant d’être ensuite complétée par la loi n°2000-516 dite « loi Guigou » renforçant la présomption d’innocence, et qui permet aux citoyens abusivement placés en détention préventive de demander des réparations financières.
Or la simple existence de ce dédommagement pour les erreurs judiciaires (ex : Patrick Dils ou Roland Agret), ou pour les préjudices moraux endurés par des années de procédure criminelle, et par un procès conclu, à terme, en acquittement (ex : Jacques Viguier), joue en faveur de mes affirmations. Si un individu, traduit devant la Justice pénale, est réellement présumé innocent, c’est-à-dire traité en tant que tel par les instruments judiciaires, il ne pourrait pas bénéficier par la suite d’une telle indemnité, puisque son intégrité psychologique aurait, logiquement, été conservée à peu près aussi bien que s’il n’avait pas été traduit, précisément, devant une Juridiction.
Donner droit à cette indemnité revient directement à reconnaître que les procédés judiciaires nient la présomption d’innocence. Si cette présomption existait véritablement, et était ainsi appliquée, il ne s’ensuivrait pas, au sortir de la machine judiciaire, de dommages psychologiques, de préjudices moraux tels que l’on s’escrimerait à les satisfaire à l’aide d’indemnités financières.
Il est possible d’affirmer que cette indemnité démontre, seulement, que la présomption d’innocence existe, mais souffre seulement d’une application défaillante, d’un exercice partiel, qu’elle n’est point totalement appliquée ; mais c’est là une conception des choses typiquement juridique, dans la mesure où elle fait primer la règle de droit sur le fait et considère, en réalité, la règle de droit comme un fait en lui-même et se substituant ainsi à la réalité (sur ce point, cf. l’essai de Laurent de Sutter : « Hors la loi : théorie de l’anarchie juridique »). De fait, ce n’est sans doute pas la plus réaliste.