Les apports de la loi n°2016-1048 du 1er août 2016 – Répertoire électoral unique (REU)

Les élections permettent d’apprécier la mise en œuvre des dispositions électorales : le déroulement des élections présidentielles d’avril 2022 offre donc l’occasion de revenir sur la loi n°2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales.

Il s’agissait, à l’origine, d’une proposition de loi. Elle avait été déposée à l’Assemblée Nationale par les députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann. Membres de la Commission des Lois, ces députés avait publié en décembre 2014 un rapport d’information intitulé « Mieux établir les listes électorales pour revitaliser la démocratie » dans lequel ils constataient que « près de 9,5 millions d’électeurs sont mal-inscrits ou non-inscrits sur les listes électorales » et que « l’éloignement entre la date de clôture d’inscription sur les listes électorales et la date du scrutin était préjudiciable à l’implication des citoyens dans le processus électoral ».

La présente loi fait suite à ce rapport. Elle abroge ou révise 68 articles, principalement dans le Code Électoral, et son décret d’application a été publié le 6 juin 2018. Elle est entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2019. À ce titre, la loi n°2016-1048 mérite que l’on s’attarde à la fois sur les changements introduits s’agissant de la gestion des listes électorales et sur les conséquences induites.

Depuis la mise en place du Répertoire Électoral Unique, un certain nombre d’erreurs ont été constatées, depuis 2021 plus de 226 000 électeurs auraient été radiés injustement des nouvelles listes centralisées.

D'une gestion humaine à une gestion dématérialisée des listes électorales

Jusqu’alors, les mairies possédaient leurs propres listes électorales. Depuis le 1er janvier 2019, les 35.500 listes communales doivent être centralisées par l’Insee, qui devient un intermédiaire entre l’électeur et sa commune, ce qui aboutit à la création d’un registre électoral national ou, pour reprendre le terme de la loi, un Répertoire Électoral Unique (R.E.U.), le décret n°2018-343 du 9 mai 2018 énumérant toutes les informations qui y figurent.

Ce R.E.U. est national, puisqu’il regroupe l’ensemble des listes électorales communales et est confié à l’Insee, institut créé en 1946. En outre, la loi supprime la révision annuelle des listes électorales, qui était réalisée par chaque commune, pour une actualisation en temps réel.

Jusque-là encore, la faculté d’inscription et de radiation des électeurs était exercée par une commission administrative compétente pour chaque bureau de vote. Désormais, elle revient au maire, qui transmet à l’Insee les noms à inscrire ou à radier sur les listes électorales par voie électronique.

En retour, ce dernier communique au maire les listes électorales actualisées. La numérisation de cette procédure permet certes, on l’a dit, une mise à jour continue des listes électorales, mais en particulier, elle laisse aux citoyens la possibilité de s’y inscrire jusqu’à six semaines avant un scrutin.

En effet, auparavant, il n’était possible de s’inscrire sur les listes électorales que jusqu’au 31 décembre de l’année précédant une élection. Cette date butoir dépassée, aucun citoyen ne pouvait donc prendre part aux scrutins se déroulant l’année suivante, sauf cas limitatifs.

Désormais un citoyen peut demander son inscription sur les listes jusqu’au 6ᵉ vendredi précédant un scrutin, sauf dérogations énumérées à l’article L30 du Code Électoral : le cas de la mobilité professionnelle (par exemple, des militaires ayant changé de domicile après leur retour à la vie civile), acquisition ou recouvrement du droit de vote après la date limite.

D'une gestion locale et transparente à une gestion opaque et centralisée des listes électorales

Avant la loi du 1er août 2016, la gestion des fichiers électoraux relevait de la compétence des communes, chacune d’elles procédant à l’inscription de tout nouvel électeur, à sa radiation et donc à l’actualisation de sa propre liste. À présent, la tenue des listes électorales est entre les mains de l’Insee, ce qui centralise et opacifie d’autant plus leur gestion aux yeux des corps extérieurs.

Une bonne illustration réside dans le système des procurations. À la faveur de la loi n°2016-1048 et de la loi n°2019-1461 dite « Engagement et proximité » qui a déterritorialisé les procurations (chose faite à partir de janvier 2022), mandant et mandataire ne sont plus nécessairement inscrits dans la même commune.

Autrement dit, une procuration peut être faite à l’électeur d’une autre commune. Or les communes ne disposent que de leur propre liste électorale, et non de celles des autres. Par conséquent, c’est bien l’Insee qui, en définitive, valide les procurations effectuées puisqu’elle détient et a accès à l’ensemble des listes électorales françaises.

Un tel système ne protège pas d’une inexactitude, volontaire ou involontaire. Dans le cas de la première, la centralisation juridique des listes électorales sur un répertoire numérique automatisé, outre le cas d’une défaillance du logiciel, aboutit en effet à une autre centralisation : le risque de fraude, alors que la division des listes électorales entre communes aboutissait, au contraire, à une diminution du niveau de fraudes potentielles.

Dans le cas des erreurs provenant du système lui-même, il convient de remarquer que, lors des élections européennes de 2019, plusieurs erreurs étaient apparues dans le fichier de l’Insee, de la radiation d’électeurs (qui avaient pourtant la capacité juridique pour voter) à des inexactitudes sur les noms, prénoms, adresses et lieu de naissance.

D’après l’Insee, ces erreurs auraient été causées par un encombrement des serveurs survenu du 2 au 6 mai, délai pendant lequel les communes avaient arrêté leur liste définitive, ce qui interroge sur la résurgence potentielle de telles défaillances lors des périodes de détermination des fichiers électoraux définitifs.

Plus récemment encore, depuis les élections régionales de 2021, plus de 226 000 électeurs ont été radiés illégitimement du répertoire électoral unique en raison de « bugs ». C’est en se rendant au bureau de vote pour le premier tour de élections présidentielles que ces électeurs ont constaté qu’ils n’avaient plus le droit de voter dans leur commune (226 962 électeurs radiés au total, voir l’article du Parisien).

Ce nouveau répertoire électoral centralisé est ainsi source d’importants dysfonctionnements qui pourraient fausser les résultats d’élections, en particulier le second tour des élections présidentielles où l’écart de vote est souvent étroit.

La dépossession du contrôle démocratique citoyen

Selon le législateur, les buts principaux recherchés par la loi n°2016-1048 étaient l’allègement de la tâche des services et la réduction des coûts, soit in fine un gain d’efficacité. La meilleure démarche était ainsi pour le législateur de procéder à une centralisation des listes par transfert de leur gestion au R.E.U.

Pourtant, un tel transfert se fait, d’abord, au prix d’une opacité accrue de la gestion de ces listes, qui échappent au regard des citoyens, des maires et des fonctionnaires territoriaux : certaines mairies ne prennent ainsi même plus la peine de vérifier les données fournies, celles-ci étant difficilement contrôlables. D’autre part, ce transfert entraîne un dessaisissement symbolique du peuple et des élus sur le contrôle des listes, ce qui ne revient à rien d’autre qu’à leur faire perdre la maîtrise du corps électoral, au profit d’un institut, l’Insee, dénué de toute légitimité politique.

La loi du 1er août 2016 renforce par conséquent le processus général de soumission de la politique à la technique.

A voir : Témoignage d’une cadre de la fonction publique territoriale.

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