Jean-Claude Gayssot, ancien député PCF et ancien ministre des Transports dans le Gouvernement Jospin (1997-2002), a donné son nom à deux lois : la première, qui est aussi la plus connue, est la loi nᵒ 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ; la seconde, largement moins familière des Français, est la loi n°98-69 du 6 février 1998 tendant à améliorer les conditions d’exercice de la profession de transporteur routier. Sa vocation est d’assurer la protection des intérêts économiques des transporteurs auxquels est ainsi accordée une garantie de paiement du prix de leurs prestations. Les travaux parlementaires ont rappelé, en amont, la place essentielle occupée par le transport routier de marchandises et le taux élevé de faillites, dans ce secteur, par rapport au secteur marchand en général (Cass. Com. 13 juillet 2010, req. n°10-12.154). D’où le mécanisme institué par la loi n°98-69 du 6 février 1998.
Cependant, si elle vise principalement à protéger les professionnels du transport en cas de non-paiement de leurs services, en leur procurant la faculté d’exercer une action directe en paiement de leurs prestations, elle comporte aussi certaines dispositions secondaires sur lesquelles il convient de se pencher en raison de leur intérêt.
La garantie du paiement des transporteurs routiers
Cette garantie est prévue aux articles 10 et 11 de la loi n°98-69. C’est elle, qui autorise l’action directe du voiturier en paiement de ses prestations et non les contrats conclus entre les parties (Cass. Com. 10 mai 2005, req. n°03-17.618), toute clause contractuelle contraire à cette loi étant réputée non écrite (Cass. Com. 13 juillet 2010, req. n°10-12.154).
Son principe est le suivant : si les prestations de livraison effectuées par le transporteur sous-traitant restent impayées par le donneur d’ordres, le transporteur dispose d’un recours direct contre l’expéditeur et le destinataire (qui peut être sous-traitant, façonnier…) de la marchandise, ceux-ci s’étant portés garants du paiement du prix du transport (art. 10), disposition dont bénéficie, également, le loueur de véhicules industriels avec conducteur à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire (art. 12).
Autrement dit, le transporteur impayé peut se retourner au choix contre l’un et/ou l’autre pour obtenir paiement de sa facture, le destinataire et l’expéditeur étant considérés comme solidaires du donneur d’ordres.
Pour être mise en œuvre, nul besoin d’une condition préalable : il suffit que les frais de transport du voiturier n’aient pas été réglés.
En revanche, il convient de préciser trois éléments :
- D’abord, la loi Gayssot ne vaut que pour les opérations de transports ayant eu lieu sur le territoire français, ce qui signifie que le transporteur impayé ne bénéficie pas de sa protection dans le cadre d’une opération internationale. La seule solution éventuelle dont dispose le transporteur pour être payé, serait de trouver des éléments de rattachement du destinataire (ou de l’expéditeur) à la compétence judiciaire des juridictions françaises. Par exemple, le lieu du siège social du transporteur. Cela exclut donc les opérations de transport au sein de l’Union européenne ;
- En second lieu, le destinataire du transport est celui qui a effectivement reçu et accepté la marchandise, et non pas celui qui a seulement été expressément et formellement désigné comme tel. La qualité de destinataire résulte de la connaissance qu’a le voiturier de la destination réelle de la marchandise transportée (Cass. Com. 22 janvier 2008, req. n°06-18.308, Société Location prestations logistique c/ Sté RTE EDF transport) ;
- Ensuite, le transporteur ne peut pas effectuer son recours indéfiniment, le délai imparti étant d’un an à partir du jour de réception de la marchandise par le destinataire (art. L. 133-6 alinéa 2 du Code de commerce), délai auquel ne peuvent pas déroger les conditions de livraison de l’acte de vente.
L’article 10 de la loi Gayssot est désormais codifié à l’article L. 132-8 du Code de commerce : « La lettre de voiture forme un contrat entre l’expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l’expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite ».
En l’espèce, précisons que la Cour de cassation avait été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur cet article, un requérant ayant jugé que l’article L. 132-8 du Code de commerce portait atteinte à la liberté contractuelle, au droit de propriété et au principe d’égalité devant la loi, mais qu’elle a refusé de renvoyer la QPC au Conseil Constitutionnel (Cass. Com. 13 avril 2012, req. n°12-40.014).
Pratique jurisprudentielle de la loi Gayssot
Plusieurs décisions de justice ont été rendues par rapport aux multiples applications de l’article L. 132-8 du Code de commerce, transposition « codifiée » du mécanisme de garantie de paiement des prestations instauré par la loi du 6 février 1998.
Par exemple, dans l’une des applications les plus importantes sans doute qui en ont été faites, la Cour de cassation énonce que le voiturier peut « agir en paiement du prix du transport contre le destinataire des marchandises, garant du paiement au même titre que l’expéditeur, sans avoir à justifier du non-paiement par son donneur d’ordre ni, le cas échéant, à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de ce dernier » (Cass. Com. 4 juillet 2018, req. n°17-17.425).
En l’espèce, cet arrêt signifie que le transporteur peut recourir au mécanisme de garantie de l’article L. 132-8 du Code de commerce, sans avoir à prouver préalablement l’absence de paiement de son donneur d’ordres. Si l’expéditeur ou le destinataire souhaitent refuser de payer, ils doivent alors prouver que le donneur d’ordre a bien réglé la somme, la charge de la preuve pesant sur eux.
Dans un arrêt plus ancien, daté du 7 avril 2009, la Cour de cassation énonce aussi que « la circonstance que le transporteur ait connu les difficultés de trésorerie de son donneur d’ordre ne lui interdit pas d’exercer l’action directe prévue par l’article L. 132-8 du code de commerce » (Cass. Com. 7 avril 2009, req. n°08-12.919).
En l’espèce, un voiturier avait engagé une action en recouvrement de créance contre le destinataire, alors que le même voiturier connaissait les difficultés financières de son propre donneur d’ordre. La Cour d’appel avait alors rejeté l’action directe en paiement engagée par le voiturier sur le fondement de l’article L. 132-8 du Code de commerce, en arguant que cette action ne peut profiter au transporteur de mauvaise foi (qui connaissait déjà les contrariétés pécuniaires de son donneur d’ordre). En dernier ressort, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, au motif que la circonstance que le transporteur ait eu connaissance des difficultés de trésorerie du donneur d’ordre ne lui interdit pas l’action prévue à l’article L. 132-8 du Code de commerce, ce qui empêche aussi le destinataire et l’expéditeur d’agir en dommages-intérêts contre le voiturier si celui-ci les assigne en justice.
Dispositions annexes de la loi du 6 février 1998
Cette loi révise plusieurs dispositions. Parmi l’ensemble des modifications apportées, deux méritent d’être signalées au regard de leur importance.
D’une part, en ce qui concerne le territoire français, les activités de transport routier public de marchandises (mais aussi celles de location de véhicules industriels avec conducteur destinés au transport de marchandises), sont subordonnées à la possession d’une licence de transport intérieur ou d’une licence communautaire (art. 2), laquelle est délivrée dans les conditions prévues par le règlement européen n°881/92 du Conseil du 26 mars 1992.
D’autre part, en vertu de l’article 5 de la loi n°98-69, l’exécution des prestations prévues au contrat donne lieu à l’établissement, par le transporteur, d’un document rempli au fur et à mesure de l’opération de transport. En cas d’absence d’un tel document à bord du véhicule, ou d’absence de la lettre de voiture (prévue par la Convention de Genève de 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route), le véhicule fautif ainsi que son chargement sont immédiatement immobilisés dans chacun de ces trois cas de figure :
- soit le dépassement de plus de 20 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les voies ouvertes à la circulation publique ;
- soit le dépassement de plus de 20 % de la durée maximale de conduite journalière ;
- soit la réduction à moins de six heures de la durée de repos journalier, toutes hypothèses visant à renforcer la sécurité routière.
Depuis l’ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010, cette disposition a été codifiée à l’article L. 3222-5 du Code des transports, à l’exception des trois hypothèses précédentes qui n’y sont pas présentes. En outre, ce même article intègre les formalités nécessaires mentionnées à la loi n°95-96 du 1er février 1995, en précisant ainsi que ledit document, exigé à bord du véhicule, doit mentionner « … les dates et heures d’arrivée et de départ du véhicule ou de l’ensemble routier, tant au lieu de chargement qu’au lieu de déchargement, l’heure d’arrivée au lieu de déchargement demandée par le remettant ou son représentant, ainsi que les prestations annexes, prévues ou accomplies, effectuées par son équipage ».
Pour terminer, la loi du 6 février 1998 habilite, également, les contrôleurs des transports terrestres à constater les infractions de faux et d’usage de faux prévues par le Code pénal et portant sur des titres administratifs de transport (art. 9).