Élection des juges aux États-Unis – Faudrait-il élire les juges en France ?

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En France, la question de l’élection des juges ressurgit périodiquement, à chaque cycle électoral. Pourtant, loin du militantisme et des jugements à l’emporte-pièce, inhérents aux périodes d’échauffement, le débat s’avère plus profond qu’il n’y paraît, soulevant des enjeux relatifs à la souveraineté populaire, à la légitimité du juge ou à son indépendance, de droit aussi bien que de fait.

Nous y consacrons donc cet article, dans le but de dissiper quelques confusions et d’apporter des éclairages sur cette problématique. D’abord sera traitée l’élection des juges aux États-Unis d’Amérique, avant d’exposer ensuite le mode principal de désignation des juges en France et le débat récurrent sur l’élection qui pourrait leur être appliqué.

L'élection des juges aux États-Unis

Préalablement, il est nécessaire de distinguer les juges fédéraux des juges des États fédérés. En effet, les juges de la Cour Suprême, les juges des cours d’appel et les juges des tribunaux de district sont nommés par le Président des États-Unis, confirmés par le Sénat et restent en poste à vie, ainsi que le dispose la Constitution fédérale, et le seul outil permettant de les révoquer est de lancer à leur encontre une procédure de destitution (qui n’a abouti qu’à sept reprises).

Cependant, l’essentiel des juges américains relèvent des différents systèmes judiciaires des États fédérés et, contrairement à leurs homologues de la Justice fédérale, ces juges sont élus et leur mandat est donc régulièrement remis en jeu devant les électeurs. D’emblée, il faut remarquer que la liste des États fédérés qui élisent leurs juges n’est pas incluse dans la Constitution fédérale. En effet, ce sont les États fédérés eux-mêmes qui prévoient l’élection des juges dans leur propre Constitution. Par exemple, la Constitution de Pennsylvanie institue l’élection des juges dans le paragraphe 13 de son article 5 relatif au Pouvoir Judiciaire, et la Constitution de l’Oregon prévoit ce procédé à la section 11 de son article VII.

Une vingtaine d’États fédérés organisent des élections directes pour élire leurs juges : non seulement ceux du premier et du second degré, mais aussi ceux de dernier ressort, à savoir les juges des cours suprêmes fédérées. Ce n’est donc pas le Gouverneur qui les nomme, mais les électeurs qui les élisent. Ce procédé a lieu aussi bien en Louisiane qu’en Alabama, en Pennsylvanie, dans le Wisconsin, le Mississippi, le Minnesota, le Nevada ou encore, l’Ohio, le Kentucky et la Géorgie.

Une campagne électorale nécessite des sommes d’argent importantes. De fait, il n’est pas rare que les candidats au poste de juge aillent collecter des fonds pour les campagnes, souvent auprès d’avocats qui comparaîtront, ensuite, devant eux lors de futurs procès. D’aucuns y discerneront une forme de favoritisme, pour ne pas dire de clientélisme. En outre, les candidats ne peuvent pas promettre qu’ils jugeront les litiges d’une certaine manière, puisqu’une partialité avouée les rendrait moins neutres et leur retirerait une part de leur autorité aux yeux des justiciables. C’est en raison de ces inconvénients que la plupart des États fédérés ont plus ou moins abandonné l’élection directe des juges, optant pour la désignation directe (par le Gouverneur) des juges de cours d’appel et des juges des tribunaux de première instance. Dans d’autres États, le Gouverneur désigne les juges à partir d’une liste élaborée par une commission judiciaire.

Pourtant, même après avoir été nommés, ces juges fédérés doivent, en général, se présenter devant les électeurs à l’expiration de leur mandat, à l’occasion de ce qu’on appelle des « élections de rétention » où les électeurs choisiront de les conserver ou non. S’ils les gardent, les juges achèvent ce qui reste de leur mandat de douze ans, puis se représentent aux élections pour un mandat complet. S’agissant des juges de première instance, ils se présentent également devant les électeurs lors des élections qui suivent leur désignation. Mais leurs mandats sont plus courts : six ans, voire quatre ans pour certains juges de paix.

La question de l'élection des juges en France

En France, les juges judiciaires sont d’abord recrutés à partir d’un concours d’entrée annuel : celui de l’École Nationale de la Magistrature.

S’agissant des hauts magistrats du siège, et que l’on retrouve à la Cour de cassation, ou en tant que premiers présidents de cours d’appel ou présidents de tribunaux judiciaires, ils sont proposés par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) au Président de la République, qui les nomme par décret. Les autres magistrats du siège sont proposés par le Garde des Sceaux, après quoi le CSM émet un avis. Si l’avis est favorable, le Président de la République procède à leur nomination par décret.

Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant la période de la Révolution, les juges étaient élus. En effet, l’acte de juger étant l’une des dimensions de la souveraineté populaire, il était logique, aux yeux de l’Assemblée Constituante peuplée de révolutionnaires, de traduire la délégation de ce pouvoir de juger par le système des élections. La loi des 16-24 août 1790 en a entériné le principe. Des juges consulaires et des juges de paix jusqu’aux magistrats professionnels des tribunaux de district, des tribunaux criminels et du tribunal de cassation, c’est bien l’ensemble des juges (à l’exception de certains représentants du Ministère public) qui étaient élus. Ce système s’appliquera pendant dix ans avant que Bonaparte n’y mette un terme.

En ce début de XXIe siècle, ne demeurent plus en France comme juges élus que les juges consulaires (art. R723-1 à R723-4 du Code de commerce). Jusqu’à récemment, les juges des prud’hommes l’étaient mais, depuis la loi du 6 août 2015, ceux-ci sont désormais désignés, tous les quatre ans, par les ministres de la Justice et du Travail à partir de listes syndicales. Cependant, la crise profonde de la Justice (manque de moyens matériels et financiers, perte de légitimité) a nourri plusieurs propositions de réforme, certaines d’entre-elles suggérant que l’on en revienne à l’élection des juges.

D’un côté, un argument récurrent réside dans le fait que des juges élus seraient plus légitimes car issus directement de la volonté populaire. D’autres font également valoir que les juges se montreraient plus soucieux des attentes des justiciables, ne serait-ce que par leur volonté d’être élus ou de rester en poste.

D’un autre côté, faire élire les juges réduirait leur indépendance, déjà affaiblie, à l’égard des pressions extérieures : à la fois médiatiques mais aussi politiques voire relationnelles. En outre, la nécessité de faire campagne et, partant, de prendre position sur certains enjeux de société politiserait leur fonction et, de fait, diminuerait donc l’autorité que les parties au litige accordent au juge, en vertu de son impartialité supposée. La question n’est donc guère aisée, et nulle doute que le débat, loin d’être tranché, ressurgira avec force dans les prochaines années.

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